La ficelle des morts

La gare de la ficelle en 2022 Agrandir l'image

Quand j’étais minot dans les années soixante, à mi-chemin du trajet qui menait à l’école, fréquemment je m’arrêtais à la boulangerie du boulevard Jules Favre qui vendait… des ficelles.

C’était… comment dire… comme une baguette de pain de nos jour, mais de moitié plus courte, et d’un diamètre beaucoup plus petit. La boulangère la sortait encore chaude du four, la coupait en deux, et j’y glissais deux petites barres de chocolat praliné, qui s’appelaient des Malakoff. C’était….un vrai délice.

Mais, mon propos du jour n’est pas de parler viennoiseries.

Tout le monde à Lyon connait le funiculaire (qui à Lyon se prononce féniculaire), ce tram monté sur crémaillère et tracté par un câble d’acier que tout bon Lyonnais appelle ‘’la Ficelle’’.

On connait tous celle de Saint-Jean.

Généralement tous les féniculaires se composaient de deux voitures à châssis métallique et caisse en bois d’une masse de 10 tonnes et fabriquées par les chantiers de La Buire.

La première voiture était réservée pour les premières classes, la deuxième pour les secondes classes.

A ce tandem s’ajoutait un troisième wagon, un truck à plateau pour le transport de marchandises, charrettes, vélos et même d’attelages de chevaux. En période d’affluence, les voyageurs pouvaient les utiliser.

J’ai moi-même voyagé sur le truck à plateau pour me rendre à la Croix-Rousse, c’était vraiment canant.

Mais savez-vous combien il y eut de ficelles à Lyon? Et bien il y en eut jusqu’à 5.

Dans l'ordre chronologique, nous avons :

1–La ficelle de la rue Terme pour la Croix-Rousse, (la première) de 1862 à 1967. Longueur 489 mètres, aujourd’hui voie routière.

2–La ficelle de St Jean pour St Just, (2e ligne construite) de 1878 encore en activité. Longueur 821 mètres raccourcie aux deux extrémités à 783 mètres en1988.

3–La ficelle de la place Croix-Pâquet pour la Croix-Rousse, (3e ligne construite) de 1891 à 1972. Longueur 474 mètres. Constituent maintenant une partie de la ligne C du métro. Le 21 juin 1943, Jean Moulin emprunta cette même ligne pour se rendre à Caluire où il sera arrêté.

4–La ficelle de St Jean pour Fourvière, (4e ligne construite) de 1900 encore en activité. Longueur 431 mètres raccourcis une première fois à 427 m puis une seconde fois à 421 mètres.

5–La ficelle de St Paul pour Fourvière et Loyasse. Avec une mention particulière.

Car elle était surnommée « La Ficelle des Morts ».

(5e et dernière ligne construite) de 1900 à 1937. Longueur 514 mètres (funiculaire) + 910 mètres (tramway).

C’est aussi celle qui aura connu le destin le plus court, avec seulement 37 ans d’existence.

▬ Il faut comprendre que pour enterrer un défunt, au récent à l’époque, cimetière de Loyasse, il n’y avait d’autre solution que d’être transporté par calèche hippomobile (tirée par des chevaux) que l’on nomma plus tard corbillard. Puis gravir la colline du bas des pentes jusqu’au haut de Fourvière. Opération difficile, malcommode, délicate par mauvais temps, que gravir les pentes escarpées et boueuses, rudes pour les bêtes.

•Lorsque le projet voit le jour, il est présenté comme solution idéale de créer une ligne de funiculaire, destinée en principal au transport des cercueils jusqu’au cimetière. Mais également ouvert au public.

•Cette ligne ne posera pas de problèmes, rapportera de l'argent, transportera les morts jusqu’à leur dernière demeure. Sur le papier, c'est parfait !

Dans l’enthousiasme, dès 1896, la construction du funiculaire et d’une ligne de tramway-relais, qui complétait le trajet depuis le terminus de la ficelle (aujourd’hui point de départ du «parc des hauteurs»), jusqu’au cimetière de Loyasse, est déclarée d’utilité publique.

La construction qui s'annonçait pourtant comme difficile, n'a pas freiné le projet, et le 31 octobre 1900 sont inaugurés simultanément la ficelle et le tram-relais jusqu’au dépôt de La Sarra.

▬ La gare de départ (ou gare inférieure) se situait à quelque pas à gauche de la gare Saint-Paul, à l’angle de la rue Juiverie et du bas de la Montée Saint-Barthélemy, (photos 1 et 2) au fond de la cour d’un immeuble faisant l’angle.

Pendant que l’on fixait le cercueil sur la plateforme du truck, les familles, amis et croquemorts montaient dans les cabines.

Arrivé à la gare haute de Fourvière, le tramway muni également d’un truck à plateau peint en noir, prenait le relais. On transférait le mort de quai à quai. Les familles changeaient de cabines, et s’entassaient debout dans la motrice. Ainsi le mort suivait le cortège, au lieu de le précéder, jusqu’au cimetière de Loyasse.

▬ Dès le début de l’exploitation elle prit rapidement son surnom de ‘’ficelle de morts’’.

-Son lancement signe également le début des ennuis, de nombreux problèmes vont émailler la vie de la ficelle, des éboulements dans le tunnel, ou des nécessités d’interruption de lignes pour cause de faiblesse structurelle. Il faut dire que le tunnel passe sous la colline de Fourvière qui est un véritable gruyère.

La ficelle et le tram de la ligne se trouvent être déficitaires dès la première année d’exploitation, bien loin de pouvoir rembourser les coûts de la construction, de l’installation et d’exploitation de ses infrastructures, sans oublier l’entretien.

Bref, si le projet a été vendu comme une panacée, la ficelle prend rapidement un goût amer pour les investisseurs.

La situation financière est loin de s’assainir, surtout avec la Première Guerre mondiale à l’horizon, et ses tragiques conséquences.

Dans les années 20, le trafic du funiculaire est interrompu un temps, perturbé par des grèves, avant de reprendre avec une fréquence réduite.

▬ Il faut dire que la population même à qui s'adressait ce service de transport était finalement assez minime et qu’en dehors de la période de la Toussaint, la plupart de ses passagers n’effectuaient qu’un aller sans retour puisqu’il desservait principalement et quasi-exclusivement un cimetière. De plus à partir du moment où il y a eu les concessions, cela devenait coûteux de s’y faire enterrer. Loyasse devenait un cimetière pour les riches qui ne concernait qu'une trop petite proportion de la population.

Donc on imagine que les gens les moins aisés enterraient leurs défunts ailleurs.

▬ Le coût de fonctionnement du funiculaire était tel que sa faible fréquentation ne permettait pas de couvrir les frais d’exploitation, dont personne n’aura jamais retiré aucun bénéfice.

Finalement il fut décidé de mettre fin à ce projet, perdu dès ses premières années d’exploitation. Et le 25 décembre 1937 le funiculaire ferma, le tramway lui perdurera jusqu’à 1939.

▬ Durant la Seconde Guerre mondiale, le tunnel reste accessible et sert d'abri lors des bombardements.

Dans les années 50 les installations sont démontées.

Suite à une annonce fracassante du maire de l’époque, Louis Pradel, lors du conseil municipal du 5 février 1963, une réouverture avait été envisagée. Mais le projet tombe rapidement dans l’oubli.

▬ Cependant, la ville va faire face à d’étranges rumeurs.

À cause de sa réputation ténébreuse et son côté morbide, des bruits courent : des rassemblements macabres, des amateurs de sordide, investiraient les lieux la nuit, certains viendraient y pratiquer des messes noires. En fait on n’a jamais réellement su ce qu’il s’y passait ? Mais c’est bien connu, à Lyon, chassez l'occulte, il revient au galop.

A défaut d’apporter une quelconque crédibilité à ces allégations, le tunnel est pourtant visité, dans l'illégalité, par des jeunes Lyonnais adeptes d’urbex.

De ce fait, la gare basse de Saint-Paul fut fermée aux curieux par une première grille. Et, au fond de la cour intérieure de l’immeuble, une porte massive de métal barre définitivement l’accès au tunnel.

Ainsi fut la courte vie de la ficelle des morts, dont il ne nous reste aujourd’hui que quelques vestiges et le souvenir d’une époque où, à Lyon, même les morts prenaient le funiculaire.

Christian

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